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DIALECTIQUE Numéro huitième
Le dialogue entre George Steiner et Pierre Boutang
Au sommaire Quelques réflexions sur l'œuvre de George Steiner, par Juan Asensio.Dossier Pierre Boutang, avec des articles de Henri Du Buit, Stéphane Giocanti, Rémi Soulié, Luc-Olivier d'Algange, Juan Asensio, et un article inédit de Pierre Boutang. Dossier Léon Bloy comportant un entretien avec Pierre Glaudes. Revue critique.
La maison hantée de Pierre Boutang par Rémi Soulié
Rémi Soulié est né en 1968. Après avoir obtenu un doctorat ès lettres consacré à luvre dAragon et enseigné la littérature française et comparée aux Universités de Toulouse et de Montpellier, il a publié, aux éditions Les provinciales / LAge dHomme, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux et participé au Dossier H consacré à Pierre Boutang, à paraître aux mêmes éditions.
« Les
pères ont mangé des raisins verts et les fils en ont eu les dents agacées.
» Saint
Augustin Littéralement, La Maison un dimanche est une histoire de revenants : le fils,
Georges, revient sur les lieux de la faute paternelle, faute obsédante, obsessionnelle,
qui lui fit surprendre, par la malveillance dune domestique, la nudité
de Catherine, maîtresse accidentelle de son géniteur. Effroi, stupeur
devant le stupre et la nudité de la femme, de cette femme. Immédiatement tombe
la sanction mortifère : Georges est condamné à linfernale répétition.
Cest dit : il rejouera la scène primitive avec une enfant de Marie
prénommée Marthe (pardi !) et le beau-fils Limouzin dans le rôle du diabolus ex machina (pas de cintres, mais
une tenture dépais rideaux. Cest la même chose). Comment désengluer
Georges, ce « Mais quelle faute George porte-t-il, au juste ? Celle de son père ? La sienne, qui fut darriver au mauvais moment, par un décret tragique du destin ? Et son angoisse devant la nudité de Catherine, est-ce de lavoir vue castrée et donc de se poser des questions quant à linamovibilité de son service trois pièces ? Est-ce davoir pris conscience, un peu tard, de la différence des sexes ? Boutang répond, dans Le Purgatoire, toujours au Quatrième chant, celui de Dame Luxure : les fils paient pour les pères, surtout « les pères de famille nombreuse » laddition est plus salée ; on repasse les plats plus souvent. Sacré Montalte ! Et puis, Catherine pourrait être la mère, nest-ce pas ? Voilà que le roman familial se complique. Jean-Pierre Bernès, léditeur de Borges dans La Pléiade, raconte que le jeune Jorg Mais quelle faute George porte-t-il, au juste ? Celle de son père ? La sienne, qui fut darriver au mauvais moment, par un décret tragique du destin ? Et son angoisse devant la nudité de Catherine, est-ce de lavoir vue castrée et donc de se poser des questions quant à linamovibilité de son service trois pièces ? Est-ce davoir pris conscience, un peu tard, de la différence des sexes ? Boutang répond, dans Le Purgatoire, toujours au Quatrième chant, celui de Dame Luxure : les fils paient pour les pères, surtout « les pères de famille nombreuse » laddition est plus salée ; on repasse les plats plus souvent. Sacré Montalte ! Et puis, Catherine pourrait être la mère, nest-ce pas ? Voilà que le roman familial se complique. Jean-Pierre Bernès, léditeur de Borges dans La Pléiade, raconte que le jeune JorgMais quelle faute George porte-t-il, au juste ? Celle de son père ? La sienne, qui fut darriver au mauvais moment, par un décret tragique du destin ? Et son angoisse devant la nudité de Catherine, est-ce de lavoir vue castrée et donc de se poser des questions quant à linamovibilité de son service trois pièces ? Est-ce davoir pris conscience, un peu tard, de la différence des sexes ? Boutang répond, dans Le Purgatoire, toujours au Quatrième chant, celui de Dame Luxure : les fils paient pour les pères, surtout « les pères de famille nombreuse » laddition est plus salée ; on repasse les plats plus souvent. Sacré Montalte ! Et puis, Catherine pourrait être la mère, nest-ce pas ? Voilà que le roman familial se complique. Jean-Pierre Bernès, léditeur de Borges dans La Pléiade, raconte que le jeune Jorgé Luis fut amené par son père dans un bordel, à seule fin louable de lui faire perdre son pucelage. Avouons que la suite des opérations risque dêtre perturbée. Qui voudrait inviter à linceste naurait pas mieux fait. Allez donc courir après linnocence de la chair ! Pierre Boutang évoque bien léducation chrétienne, mais na-t-il pas lintuition que la culpabilité préexiste à la faute ? Nest-ce pas, au demeurant, lun des sens du péché originel ?Le Wiederholungszwang
freudien suppose un trauma, puis lémergence du sentiment de culpabilité
qui pousse certains sujets à répéter des actes mortifères. Ainsi, la finalité
des actions humaines ne tendrait-elle pas toujours vers le principe de plaisir,
mais vers un « au-delà du principe de plaisir » que Freud
appelle pulsion de mort.
« répète-le voir un peu »,
dans le roman, en serait un bon
indice textuel. Il y a traumatisme lorsque le sujet ne peut intégrer un événement
dans le cours de ses représentations ni labstraire du champ de sa
conscience en le refoulant. Le retour du même (i.e. la répétition) ne manifeste
rien moins quune tentative maladroite de maîtrise (doù le scénario
de répétition élaboré par Georges) par lintégration du trauma à lorganisation
symbolique de la victime. Freud radicalise la perspective en affirmant que le
premier trauma est celui de la naissance. Quelle faute dêtre né !
Cioran le prétend, et Boutang aussi (nous sommes loin de Chaque fois quun
petit enfant naît, tout recommence
) : « Je
ne devais pas descendre. Toutes ces premières causes selon le moment tantôt
cest davoir accepté de donner des leçons à Catherine, tantôt dêtre
descendu alors que Catherine, immobile, attentive
ou que la mère Limouzin
cinq minutes après ait dit à Georges, ou quil y avait une fête le huit
décembre mais toutes ces causes vraies ou fausses aboutissent à cela,
à Georges, au désastre, à ce regard de Georges maintenant sur moi ; il
ny a quune vraie cause, dêtre né et dengendrer :
tout revient à cela, et si javais eu le temps de savoir le pourquoi de
cette naissance, la mienne et celle de Georges
»
(Cause toujours, cest
la faute qui mintéresse). En
mourant, le père de Georges, M. Brun, reprend sur lui le fardeau ; il délivre
son fils de la pulsion de mort qui le tenaille ; il lautorise donc
à vivre, autant dire à aimer (aussi bien la nudité des femmes). La fin de la
répétition implique la fin de la tentation archaïque du retour à lorigine
(des traumas). « Althusser à rien, et Lacan à pas grand chose », répétait
symptomatiquement Pierre Boutang. Ouais. Et Lacan répète
Freud, en partant du concept aristotélicien de tûché, ce qui est à lorigine de la répétition, soit le trauma
(rencontre insupportable qui na pas pu être évitée par le sujet
la nudité de Catherine en loccurrence). Cet insupportable, Lacan lappelle
le réel ou limpossible à symboliser, à affronter. Le scénario de
répétition élaboré par Georges témoigne de ce quil reste en-deçà de cette
symbolisation. La délivrance, au sens gynécologique, surviendra donc à la mort
du père, permettant la (re)-naissance symbolique du fils. Parturition réussie.
On peut se demander si le secret qui obsède Boutang nest pas une autre
forme de ce réel impossible
La question mérite en tout cas dêtre
posée. La
Maison un dimanche, nous lavons dit, est une histoire de revenants,
et dans une maison par définition hantée. Boutang aime bien les histoires de
fantômes, ces êtres qui nen sont plus tout à fait. La famille Brun est
naturellement fantomatique (traduction possible de unheimlich), hantée par le souvenir dun corps nu. Ce roman est
donc aussi lhistoire dun exorcisme le bon Docteur Sigmund
dirait dune cure : le sortilège qui retient Georges prisonnier doit
cesser, le charme doit se rompre, les démons senfuir. Quest-ce que lUnheimlich freudien, sinon ce qui nappartient
pas à la maison et qui pourtant y demeure ? En logocrate, Boutang connaît
son étymologie : Heim, cest Home, le chez soi, la familiarité de la
maison, Heimlich, ce qui fait partie de la maison,
non étranger, familier, apprivoisé. Die
Heimlichen désigne ceux qui habitent sous le même toit. Dans Heim,
il y a le calme recherché en toutes lettres par Georges, la protection sûre
comme lenceinte de la maison que lon habite. Mais il y a plus, mais
il y a mieux : heimlich, cest
aussi ce qui est caché, dissimulé, disons le mot
secret (Geheim). Bigre ! Lauteur de LOntologie du secret a de la suite dans les idées. Et quand
on sait que Heimat renvoie à la patrie,
alors
Mais nous ne pouvons pas aller trop loin dans le cadre de cet article.
Revenons à nos moutons noirs. Que sont les lieux heimlich du corps humain ? Des pudenda ! Et voilà quAdam et Ève
qui reconnurent quils
étaient nus, et le père Noé dévoilé, figures qui, comme par hasard, une fois
de plus, traversent le roman de Boutang (sur la préparation à la
nudité, cf. op. cit., pp. 25-26).
Ca ne suffit pas ? De quoi meurt M. Brun ? De spasmes (Ibid., p. 249). Il semble sujet aux crises dépilepsie. Quand
il cherche à définir lUnheimlich, que donne Freud comme exemple ?
Lépilepsie, bien entendu (ce moment où un corps dapparence saine
semble habité par un démon). Un autre exemple unheimlich ?
Le thème du double. Yves, dans le roman de Boutang, duplique la scène originelle,
en fidèle doublure de Georges. Telle est sa place dans le scénario écrit pour
lui. Georges le Revenant, dans la maison
hantée, un dimanche, éprouve le sentiment dinquiétante étrangeté, à linstar
de tous les protagonistes du roman. Freud toujours : « Ce qui paraît au plus haut point étrangement
inquiétant à beaucoup de personnes est ce qui se rattache à la mort, aux cadavres
et au retour des morts, aux esprits et aux fantômes. Nous avons dailleurs
vu que nombre de langues modernes ne peuvent pas du tout rendre notre expression :
une maison unheimlich autrement que par la formule : une maison hantée.
Nous aurions pu à vrai dire commencer notre investigation par cet exemple, peut-être
le plus frappant de tous
» (Ibid.,
p. 246). Faut-il enfoncer le clou ?
Alors lisez le Quatrième chant du Purgatoire,
celui de la Luxure, encore et toujours, où Boutang revient en monomaniaque
sur les revenants et les fantômes, oui, en ce chapitre précis, lointain
écho du premier roman : « Le fantôme
de Jean Ruo, image de ce mort captif, accompagne Montalte sur la place dAlésia
» (Le Purgatoire, op. cit., p. 207. Cf. également pp. 204 et 205). « De ce là-bas, de cet ailleurs, je ne sais rien, même si cest un
ailleurs plutôt que lêtre vrai de tous les
ici, la répétition qui les révèle tels quils ne parvenaient pas à être
» (Ibid., p. 81). Oui, cest encore toute la question. « Ce nest pas la peine de répéter, puisque tout est dès maintenant
répété en Dieu et y trouve son être » (p. 83).
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